[Saint-Sauveur] Le rapport du commissaire enquêteur : ce qu’on y trouve, ce qui ne s’y trouve pas.

lundi 15 avril 2019

Le 25 mars dernier, le commissaire enquêteur a publié un rapport de 41 pages où l’on trouve ses « Conclusions partielles », son « Argumentaire », sa « Conclusion générale » et son « Avis favorable assorti de 1 réserve et de 7 recommandations ».

1. Une Collectivité pressée qui néglige l’expertise du commissaire enquêteur

Le commissaire enquêteur relève le fait, et y insiste, que la Ville et la MEL n’ont pas souhaité tenir compte des 3 réserves qu’il avait émises à l’issue de l’Enquête Publique initiale (mars-avril 2018). Il fait d’abord observer que la délibération du Conseil métropolitain, le 15 juin 2018, a suivi de peu la publication de son rapport du 18 mai et que cette période de moins d’un mois a été « relativement courte pour permettre une exploitation approfondie des réserves et recommandations du commissaire enquêteur. » (p.7) Ensuite, il constate qu’ « il a fallu l’intervention de la juridiction administrative pour que [le Conseil métropolitain] révise sa position et décide d’organiser une enquête complémentaire » (p.7). Enfin, il souligne à plusieurs reprises que ses réserves n’ont été levées que« partiellement » :

« Force est de constater que la volonté de la MEL de suivre les préconisations du juge des référés n’est pas allée jusqu’à accéder aux demandes émises par le commissaire enquêteur dans son avis à l’issue de l’enquête initiale, en ce sens que les réserves n’ont été levées que partiellement » (p.7)
« Le commissaire enquêteur constate que les actions conduites par la MEL depuis la fin de l’enquête initiale et les évolutions apportées à l’étude d’impact en décembre 2018 sont de nature à ne lever que partiellement les réserves qu’il avait émises dans ses conclusions et son avis prononcés le 18 mai 2018 à l’issue de la procédure d’enquête publique initiale » (p.9)
« Considérant (…) que les évolutions apportées à l’étude d’impact en décembre 2018 sont de nature à ne lever que partiellement les réserves émises par le commissaire enquêteur dans ses conclusions et son avis prononcé le 18 mai 2018 à l’issue de la procédure d’enquête publique initiale » (p.39).

D’ailleurs, le commissaire enquêteur remarque un certain « empressement » de la part de la collectivité, voire une précipitation. Il invite donc la MEL à tenir compte de l’opposition au projet par une partie significative de la population et lui recommande par conséquent de ne pas « brûler les étapes » :

« La délibération du conseil communautaire du 14 décembre 2018 autorise la notification du marché relatif à la piscine au groupement emmené par la société Rabot-Dutilleul. Cette décision est prise comme si la déclaration d’intérêt général du projet et la modification afférente du PLU n’avait pas été suspendue par le juge des référés dans son ordonnance » (p.7)
« si ce projet d’aménagement était consensuel, nous n’en serions pas aujourd’hui au niveau d’une procédure d’enquête publique complémentaire, ouverte après un référé suspensif d’une délibération du Conseil Métropolitain déclarant le projet d’intérêt général » (p.8).
« Le commissaire enquêteur souscrit au caractère indispensable de cet aménagement et comprend l’empressement du Maître d’ouvrage à lancer au plus vite les travaux, mais l’incite à ne pas « brûler les étapes », notamment au niveau de l’information en temps réel du public et de la mise en œuvre des mesures compensatoires aux atteintes environnementales du projet » (p.7)

2. Les risques sanitaires inhérents au projet : quelles conclusions en tirer ?

Le commissaire enquêteur commence par constater que « au niveau de la ville de Lille et dans la zone du projet », la « qualité de l’air est plutôt dégradée », c’est-à-dire « au-dessus des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé en valeur instantanée et en moyenne annuelle pour les particules fines » (p.9).
Il poursuit en indiquant que la réalisation du projet Saint-Sauveur « aggravera la situation avec une augmentation des concentrations en polluants atmosphériques » (p.9). Chiffrée, cette aggravation correspond à une augmentation de plus de 10 % en NO2, de 5 % pour les PM10. La cause principale est aisément identifiable, anticipable : c’est l’augmentation de la circulation automobile générée par le projet. « Il est en effet probable que la réalité sera plus proche du ‘scénario pessimiste’ nouvellement élaboré que du ‘scénario de base’ décrit dans l’enquête initiale ».

Dans son Avis, versé au dossier de l’Enquête publique complémentaire, l’Autorité environnementale établit à 6830 les déplacements motorisés quotidiens devant s’ajouter aux milliers de voitures qui, aux heures de pointe, embouteillent déjà l’axe de la rue de Cambrai et les rues avoisinantes. Comptabilisant globalement à 25 600 les déplacements quotidiens supplémentaires que générerait le projet, l’Autorité lance l’alerte : le flux d’automobiles « constituerait des obstacles pour les piétons et cycles et des espaces présentant une forte concentration en polluants atmosphériques » (p.12).
Face à des pronostics si préoccupants, la prise de position du commissaire enquêteur a de quoi surprendre.

Selon lui, le problème est si global, aussi bien à l’échelle de la métropole lilloise qu’à l’échelle européenne, qu’il faudrait relativiser les risques sanitaires inhérents au seul projet Saint-Sauveur et, tout en validant celui-ci, se contenter d’inviter la MEL et la Ville à mener « collaborativement des réflexions complémentaires » visant à établir « des mesures fortes et contraignantes afin d’éviter toute aggravation de l’état de la qualité de l’air de la métropole lilloise » (p.9)

D’un côté, le commissaire enquêteur rappelle que « la santé des lillois est en jeu » : « Il est incontestable qu’en 2018, année particulièrement défavorable, la métropole de Lille a été le théâtre d’une soixantaine d’épisodes de pollution aux particules fines. La santé des lillois est en jeu, les choix faits aujourd’hui sont déterminants pour l’avenir » (p.19)

D’un autre côté, le commissaire enquêteur considère que « le projet en lui-même n’a pas un impact très négatif en valeur absolue sur la qualité de l’air et la pollution atmosphérique », du fait qu’ « il s’insère dans une ville qui subit la pollution, à des niveaux parfois critiques » (p.19). Il conclut que, « si l’on veut être réaliste » l’enjeu concernant la pollution de l’air doit « être appréhendé à l’échelle de la Métropole » (p.19) : le site de Saint-Sauveur étant localisé dans une zone de vigilance « comme la grande majorité du territoire lillois », le projet ne peut constituer à lui seul « une réponse suffisante à l’atteinte des valeurs guides de l’OMS, au vu de la situation initiale, de la pollution de fond et des sources d’émissions dépassant le périmètre de l’opération » (p.18).

D’ailleurs, le commissaire enquêteur n’hésite pas à élargir le cercle des causes et des responsabilités, tout en prévenant que la globalisation du problème met en question la pertinence des dispositifs de contrôle et de régulation : « Si demain, les normes européennes sur la qualité de l’air s’alignent sur les valeurs guides de l’OMS, la très grande majorité des villes européennes vont se retrouver en situation de non-respect de la directive européenne. Ces non respects auront pour conséquence de très nombreux contentieux devant la cour européenne de justice pour chaque état membre avec à la clef des sanctions financières importantes » (p.33).

Par conséquent, la seule réserve émise par le commissaire enquêteur dans sa Conclusion Générale concerne le projet de piscine olympique, non pas le projet en lui-même mais l’évaluation des risques sanitaires liés à sa localisation en « zone de vigilance » (p.40).

3. Ce que nous n’avons pas trouvé dans le rapport du commissaire enquêteur

Une analyse sourcée de l’argumentaire de « l’offre de logements sociaux ». Le commissaire enquêteur tient pour acquis que « l’opération Saint Sauveur est une opportunité de contribuer à répondre aux besoins des populations les plus fragiles » (p.27). Pourtant, si la politique de la Ville de Lille était respectueuse de ses propres objectifs, le solde entre construction et destruction de logements sociaux ne serait pas négatif. Or, à Lille, on compte 123 logements sociaux en moins sur la période 2005-2015 (cf. Atlas de l’Observatoire de l’Habitat Privé, 2018). Par ailleurs, on rappellera que la construction de logements en Prêt Locatif Aidé d’Intégration (PLAI), ceux-là mêmes qui s’adressent aux « populations les plus fragiles », ne concerne que 7,5 % du projet immobilier sur Saint Sauveur, soit seulement 180 logements sur 2400 (cf. association Hors-Sol, septembre 2018)

Une prise en compte rigoureuse de la préservation de la biodiversité. En effet, six lignes suffisent au commissaire enquêteur pour traiter le dossier, majeur, du patrimoine naturel urbain. Le commissaire enquêteur prend seulement acte que « les dommages faits ne permettent pas de retour en arrière » (p.10). Rappelons en effet que, bien que le projet ait été suspendu par décision du Tribunal Administratif en octobre, la MEL et la Ville ont cependant lancé, en novembre, la première étape d’un chantier de terrassement, éradiquant sur la friche les quatre cinquièmes du couvert végétal.

Une distance critique à l’égard de la solution du tout-technologique apportée aux problèmes environnementaux. Exemplaire de ce manque de distance critique : la solution au problème des îlots de chaleur serait, selon le commissaire enquêteur, apportée par le projet d’un bassin extérieur au sein du complexe nautique ! Et le commissaire enquêteur de conclure : « Dans le projet de piscine sur Saint Sauveur, la recherche de la qualité environnementale sera optimale, les activités facilitées par la situation et les moyens de transports existants et le bassin extérieur participera utilement à la création d’un îlot de refroidissement dans une ville qui, de l’avis de nombreux contributeurs, présente actuellement des îlots de chaleur. C’est d’ailleurs l’un des axes de la candidature de la Ville de Lille en tant que Capitale Verte. ». Pourtant, s’il relève le coût financier du projet de piscine olympique, qualifié d’ « exorbitant » (p.24), le commissaire enquêteur ne tient pas compte de son coût en termes de ressources naturelles s’il faut quotidiennement renouveler l’eau de cinq bassins : non pas seulement 30 litres mais bien 50 litres par baigneur et par jour selon l’estimation révisée par l’Autorité environnementale. Cet « enjeu est fort pour l’agglomération lilloise, la ressource disponible couvrant à peine les besoins » (p.11 de l’Avis de l’autorité environnementale), enjeu qu’une approche en termes économiques et technologiques ne permet manifestement pas de saisir.

Autrement dit, du point de vue de la lutte contre les îlots de chaleur, considérer le bassin extérieur comme une solution est une plaisanterie alors que les projections pour les années à venir conduisent à des tensions sur la ressource en eau. La piscine olympique sur cet espace est donc “un problème”, en aucun cas “une solution”. Au lieu de participer au recueil de l’eau pluviale et à l’approvisionnement des nappes, pour peu qu’un couvert végétal de bonne qualité soit assuré, cet espace prélèvera au contraire de grandes quantités d’eau qui ne seront plus disponibles pour d’autres usages, aggravant la difficulté de l’approvisionnement en eau de bonne qualité et de la lutte contre les îlots de chaleur sur l’ensemble de la Métropole.

Déplorant une pollution de l’air dont l’origine dépasse largement l’emprise du projet ainsi que l’ensemble du territoire métropolitain, le commissaire-enquêteur ne mentionne nulle part que la végétalisation des espaces encore disponibles est justement la principale de ces « mesures fortes et contraignantes afin d’éviter toute aggravation de l’état de la qualité de l’air de la métropole lilloise », parallèlement à la révision de la politique des transports. Cette végétalisation du site Saint Sauveur est d’autant plus indiquée que c’est la zone métropolitaine la plus exposée à ladite pollution, et que c’est également la seule zone encore disponible sur le sud de la ville, tous les espaces alentour ayant fait l’objet de constructions récentes et de haute densité.

Enfin, ce que nous n’avons pas trouvé dans le rapport du commissaire enquêteur, c’est une réflexion sur la pertinence du projet eu égard à l’échéance temporelle. Dans 20 ou 25 ans, soit la durée vraisemblable du chantier Saint Sauveur, où en serons-nous de la destruction de la biodiversité, des îlots de chaleurs, des ressources en eau, de la pollution atmosphérique ?
Et, d’abord, où en serons-nous du processus d’urbanisation de la planète ?
Car le problème n’est pas démographique, il est urbain. Si, comme le prédisent les géographes, plus de 70 % de la population mondiale vivra en ville en 2050, il est urgent de penser fondamentalement ce que sera la ville de demain, et l’urbanisme qui va avec.
Désormais, il se pourrait que :

- l’urbanisme consiste à libérer de l’espace
- l’urbaniste et l’élu.e doivent renoncer aux éléments d’un vocabulaire obsolète et dangereux : « no-man’s land » (p.34) et autres « dents creuses »
- un « geste architectural fort », pour reprendre les mots de Martine Aubry en 2014 à propos du projet Saint-Sauveur, consiste à décider de ne pas bâtir
- un parc pour les habitant.es des quartiers populaires (Moulins-Fives), ceux-là mêmes qu’on voudrait éduquer à la rigueur écologique par la seule fiscalité, mérite d’être considéré, à l’échelle de la ville et de son agglomération, comme un équipement d’intérêt général ;
- le « city-branding », qui met les villes et métropoles en concurrence toutes entre elles et pousse chacune à la course aux labels européens (culture, design, ville verte, jeux olympiques, etc.), soit considéré comme une logique de marketing foncièrement toxique pour les populations ;
- un commissaire enquêteur n’ait plus à déplorer qu’une « grande métropole française » soit dépourvue d’ « une piscine olympique digne de ce nom », une piscine qui aurait, par exemple, la fosse de plongée la plus profonde d’Europe (cf. le rapport du commissaire enquêteur, p. 23 : « la réalisation d’une piscine olympique digne de ce nom sur la métropole lilloise est certainement souhaitable, car c’est la seule grande métropole française qui en est dépourvue »)
- le rêve d’une ville habitable-respirable soit désormais le seul « plan guide » rigoureux, exigeant, en vue de construire une ville respectueuse du climat et soucieuse d’une véritable justice sociale ;
- le prétendu réalisme des élus promoteurs de la densification urbaine et de la construction de “la ville sur la ville” soit une utopie aussi caduque et mortifère que celle d’une croissance infinie dans une planète aux ressources limitées.

Repris de "Fête le Friche".